La place croissante des jeunes aux enchères

La place croissante des jeunes aux enchères

“Je suis jeune, il est vrai ; mais (…) la valeur n’attend point le nombre des années” : ce raccourci extrait de la pièce tragi-comique de Pierre Corneille s’avère plus actuel que jamais appliqué aux rouages d‘un Marché de l’Art qui porte aux nues des artistes de plus en plus jeunes.

L’origine de ce phénomène – que l’on constate depuis le tout début des années 2000 et s’accélère depuis peu – semble corrélée au coup de tonnerre provoqué en 2001 par la vente de la sculpture Mickael Jackson and Bubbles d’un Jeff KOONS alors âgé de 46 ans. L’œuvre s’envolait pour 5,6m$ (Sotheby’s), un prix totalement exorbitant à l’époque pour un artiste en milieu de carrière. Koons défrayait alors la chronique, car personne n’imaginait qu’un artiste vivant pouvait atteindre une telle somme.

Il est possible que ce résultat exceptionnel en tout début du millénaire ait favorisé la valorisation décomplexée d’une création très contemporaine à des niveaux de prix traditionnellement réservés aux artistes très établis. Dans les années suivantes, les grandes maisons de ventes ont en effet proposé des œuvres de plus en plus fraîches réalisées par des artistes de plus en plus jeunes, si bien que, depuis la vente du Mickael Jackson and Bubble de Koons, le nombre d’artistes de moins de 40 ans a quintuplé et que le produit des ventes de cette catégorie est vingt-six fois plus important !

Les œuvres maîtresses des artistes “blue-chips” – comme Basquiat, Warhol, Banksy, Condo, etc. – ayant atteint des montants stratosphériques, les collectionneurs osent désormais s’aventurer au-delà des valeurs sûres et se livrer à des surenchères acharnées pour les créations moins coûteuses de très jeunes artistes prometteurs. Le journaliste Scott Reyburn invente le qualificatif “red-chips” pour désigner cette nouvelle génération qui s’impose d’emblée sur le devant du Marché de l’Art international (The Art Newspaper, janvier 2021).

La compétition est si animée en salles que le produit des ventes des artistes de moins de 40 ans atteint un sommet historique de 200,9m$ (S1 2022), soit 2,7% du marché mondial Fine Art aux enchères. Jamais les artistes de cette tranche d’âge n’ont pesé si lourd.

Évolution du poids des artistes de moins de 40 ans sur le marché des enchères depuis l’année 2002

Podium des artistes de moins de 40 ans (vivants et décédés) au S1 2022, classement par adjudications.
→ En vingt ans, la demande a flambé pour l’art ultra-contemporain, avec un nombre de transactions multiplié par sept pour les œuvres réalisées par des artistes de moins de 40 ans. Le nombre de jeunes artistes augmente, lui, d’un facteur cinq, passant de 543 à 2 670 signatures : de quoi développer considérablement le poids économique de la nouvelle garde, qui vient d’atteindre un record absolu de 200,9m$ au terme des six premiers mois de l’année 2022.

Évolution semestrielle de la part des artistes de moins de 40 ans sur le marché des enchères Fine Art

Évolution semestrielle de la part des artistes de moins de 40 ans sur le marché des enchères Fine Art
→ Les moins de 40 ans dynamisent de plus en plus le Marché de l’Art : ils représentent 16% du produit des ventes aux enchères de la période contemporaine (artistes nés après 1945), et 2,7% du marché total des enchères pour le Fine Art (toutes périodes confondues), contre 0,5% il y a vingt ans. Cette formidable avancée est dûe à un accroissement global de la demande, mais aussi et surtout à l’extrême valorisation de quelques artistes. En effet, les vingt artistes de moins de 40 ans les plus performants aux enchères génèrent 70% du produit des ventes mondial, pour seulement 20% des lots vendus (soit 140m$ sur les 200,9m$ enregistrés au S1 2022).

Artistes de moins de 40 ans : évolution semestrielle des produits des ventes aux enchères de Fine Art

Artistes de moins de 40 ans : évolution semestrielle des produits des ventes aux enchères de Fine Art

L’évolution du produit des ventes pour les artistes de moins de 40 ans indique quatre apogées : celle de 2008 (188m$), qui repose essentiellement sur des œuvres de Banksy (34 ans à l’époque), Cecily Brown (39 ans), Jenny Saville (38 ans) et I Nyoman Masriadi (35 ans), avec des adjudications comprises entre 1m$ et 2m$ ; celle de 2014 (180,8m$), qui doit beaucoup à Dan Colen (alors âgé de 35 ans), Adrian Ghenie (37 ans), Tauba Auerbach (33 ans), Joe Bradley (39 ans) et Aili Jia (35 ans), dont les résultats de ventes sont compris entre 1,5m$ et 3m$ ; celle de 2021 (293m$), portée par des niveaux d’adjudications plus importants, entre 2m$ et 5m$, pour Matthew Wong (décédé à 35 ans), Avery Singer (34 ans en 2021), Amoako Boafo (37 ans), Flora Yukhnovich (31 ans), Fewocious (18 ans), Toyin Ojih Odutola (36 ans) et Loie Hollowel (38 ans). Pour finir, le premier semestre 2022 affiche un record, balayant en six mois les résultats annuels de 2008 et 2014.